vendredi 23 mai 2008

Congo, Mythes et réalités


On a tout dit – et parfois n’importe quoi – au sujet du Congo et de sa colonialisation par Léopold II d’abord, par la Belgique ensuite. A distance aussi éloignée de la propagande lénifiante distillée par les institutions belges que des élucubrations de certains milieux anticolonialistes, le livre de Jean Stengers tente de rétablir des vérités historiques, c’est-à-dire une analyse intellectuelle honnête de faits établis et prouvés par des documents irréfragables.

Cela ne signifie pas que ce livre est dénué de passion, bien au contraire. C’est la passion de l’historien, celle de la recherche des réalités passées et des conséquences actuelles, qui anime de page en page cette synthèse éclairante.

Synthèse, en effet, puisque Jean Stengers s’est passionné pendant plus de quarante ans pour ces deux sujets quasiment inépuisables : Léopold II et le Congo.

Au commencement, est le rêve d’un homme, Léopold. Ce Duc de Brabant – il n’est pas encore roi – est fasciné par le modèle colonial hollandais qui rapporte tant à la métropole néerlandaise. Il rêve d’un batig slot, d’une rente équivalente aux millions en provenance de Java, pour ce petit état qu’il est destiné à gouverner un jour. Il ne se tourne pas d’emblée vers l’Afrique, mais vers l’Asie, l’Océanie, l’Amérique du Sud. Et il va se heurter à d’innombrables obstacles. A l’indifférence, voire à l’hostilité de son entourage d’abord. Lorsqu’il sera roi des Belges, même son chef de cabinet est opposé à ses ambitions coloniales…

Et pourtant, à force d’obstination, de ruse et de propagande habile, Léopold va réaliser son rêve. Il va devenir roi absolu du Congo. Contrairement à sa position de « roi constitutionnel » en Belgique, devant rendre compte aux ministres du moindre de ses actes et de ses discours, il va régner en maître absolu sur cet espace incroyablement étendu, le ministre des Affaires étrangères de Belgique apprenant par la presse les décisions relatives au nouvel état « indépendant ».

Mais l’enthousiasme international qui présida à la fondation du nouvel état sera de courte durée. Bientôt des voix discordantes se feront entendre pour dénoncer les invraisemblables abus et atrocités qui sont commis à l’occasion de la récolte du caoutchouc, principale ressource du domaine personnel de ce drôle de « roi capitaliste ».

L’issue de cette campagne en faveur de réformes drastiques sera l’annexion par la Belgique d’une nouvelle colonie dans laquelle l’ordre sera bientôt rétabli. De 1908, année de la « reprise » par la Belgique du Congo léopoldien, à 1960, année de l’indépendance, les Belges vont traiter ce pays immense comme leur chose, leur « dixième province ».

Ils y installeront des industries minières, des lignes de chemin de fer, des missions auxquelles sera confiée l’instruction des « indigènes ». Et ils croiront dur comme fer que cette rente serait éternelle…

Las, le 4 janvier 1959, éclatent les premières émeutes et en un peu plus d’un an plus tard, le Congo entame son odyssée personnelle. Les cadres de l’armée et de l’administration quitteront en masse le pays dans les mois qui suivront, livrant le Congo à l’impéritie et très vite à la dictature…

Dans cet ouvrage très bien documenté, Jean Stengers coupe le cou à quelques mythes pourtant bien implantés, comme ces légendes auxquelles la conférence de Berlin a donné lieu sur le prétendu « partage de l’Afrique » ou sur les non moins fantasmatiques « sphères d’influence ». Il rétablit certains fait – comme l’absence de plan d’éducation nationale de la métropole pour sa colonie, la première se contentant de livrer la seconde au bon vouloir des missionnaires…

Au sortir de cette synthèse, on comprend mieux les réussites – car il y en a eu – et les échecs de cette politique coloniale née de la volonté d’un seul homme contre l’ensemble de ses contemporains. Cette colonie dont la Belgique ne voulait pas, elle a eu tant de souffrance à s’en séparer après 80 ans de mariage forcé…




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